Nuits de paresse: 10/31/08

10.31.2008

Des silences en partage

Il avait passé une excellence soirée avec elle. A papoter de choses et d’autres. Ils se connaissaient depuis longtemps. Pas vraiment fait les 400 coups ensemble, mais partagés quelques instants particuliers. La préciosité de ces choses-là ne se mesure pas à l’aune de ce que l’on peut en dire, rien d’exceptionnel là-dedans, à moins que l’on puisse penser la force d’un lien fortifié d’instants. C’était plutôt cela leur relation, une accumulation de moments pris sur les vies quotidiennes. Alors, quand ils se retrouvaient, revenait subrepticement la noria des verres bus, la cohorte des minutes sacrifiés autour d’une table, la théorie des frôlements et paroles échangées. Ni l’un ni l’autre ne pouvait clairement exprimer le pourquoi de tels moments, si même un seul avait eu une quelconque utilité dans quelque domaine que ce fût. Ils constataient qu’ils étaient bien ensemble et cela suffisait. Jusqu’à cette soirée. En résumé, elle était semblable aux autres. Aucune nouveauté dans ce train-train. Comme une habitude. Ça revenait, voilà tout. Une fois de plus. Pourtant, quand il sortit de chez elle, il pressentit que certains des instants qui patinaient leur corde commune n’avait pas la consistance habituelle. C’est ainsi qu’il évoqua in petto ce troublant sentiment. En examinant de plus prêt ces petites choses, il remarqua l’étrangeté de certains gestes, de certaines phrases, la cruauté relative de certains silences, donc quelques uns, bien rares il est vrai, durèrent plus qu’à l’accoutumé. Ce sont surtout ces silences, ce manque de mots à ces moments-là qu’il s’appliqua à compter. Il en vit au moins trois. Peut-être auparavant étaient-ils déjà rodant entre deux phrases, quand cette fois-ci ils apparaissaient avec une crudité qui l’étonna. Que faisaient donc là ces silences ? Non pas qu’il chercha la moindre utilité aux choses vécues, mais tout de même, il devait bien exister une raison pour qu’arrivent certaines choses. Des raisons suffisantes ? Peut-être des raisons relatives. Et en définissant ce terme étrange il comprit ce qu’il avait en tête. Des raisons à deux. Ce qui lie. Connaissance intime de l’autre. Ses goûts, ses envies, son odeur, sa manière de prendre un verre et de le porter à soi, deux corps qui exultent dans un grand bain de mots. Cet érotisme était apparu bien avant cette soirée, mais jamais il n’avait acquis cette pâte, cette réalité. La corde s’enroulait, se raccourcissait de trop se tordre, s’enroulait autour d’elle même, se collait d’instants en instants, par ces miettes entre crochets et aspérités, trous et bosses, un paysage à soi qui naissait dans le grand vide de l’entre-eux-deux. L’espace existant avant eux et ne demandait qu’à se remplir d’eux. Et il exprima cette idée étrange qu’après tout l’amour n’est peut-être qu’une particularité de l’espace qui… Alors c’était ça. Tout ce vide c’était de l’amour. Et il n’osa plus penser. Se disant qu’il n’était jamais bon de dire aimer entre deux hémisphères. Que cela se faisait entre quatre yeux. Demain. Il verrait demain. Pour être sûr.