Nuits de paresse: 08/20/07

8.20.2007

Une fissure

Depuis deux ans que je passe par là, j’avais acquis la certitude que je connaissais tout les recoins de ce parcours. Il m’a même semblé par moment pouvoir le parcourir les yeux fermés. Ce n’était pourtant pas un chemin facile, beaucoup d’obstacles, beaucoup de tournants, mais surtout une foule compacte. Et plusieurs fois j’ai eu le déplaisir de rentrer littéralement dans certaines personnes. Au moins deux fois, au moins parce que je n’ai pas la mémoire trop fiable. Et même une fois je l’ai connu sous la neige. Pour vous dire. Bref, ce parcours était devenu une sorte d’excroissance de moi-même. Pourtant ce matin, et c’est pour cela que je vous raconte ce fait aujourd’hui, ce matin donc, en le parcourant, peut-être un peu plus doucement que d’habitude, j’ai remarqué un mur lézardé. Plutôt une fissure dans un mur, celui qui continue la grande boulangerie de la rue T. Vous me direz qu’il n’y a rien d’extraordinaire dans cette vision d’une fissure dans un mur de Paris. Dans ce cas-là, je vous rétorquerai qu’il n’y a rien de bien extraordinaire à assister à un accident, chose connue, ou à la chute d’un météorite près de soi, même si je dois vous accorder que cet événement est plus rare que les précédents. Mais comprenez bien ceci, ce n’est pas la fissure qui est extraordinaire, mais le fait que depuis deux ans que je passe par ici, mon œil n’ait jamais été attiré par elle. Cela équivalait pour moi à l’apparition d’un nouveau meuble dans ma maison, ou d’un troisième bras dans ma frêle carcasse. Comment ai-je pu louper ça ? Cet événement, car je n’ai pas d’autre mot pour dire ce qu’a été pour moi cette découverte. Voilà, tout à coup quelque chose a surgi dans un mur que je frôle tous les jours depuis plusieurs centaines de jours. Arrivé au bureau, cette fissure était encore sous mes yeux et toute la journée dans ma tête. Au retour, un peu plus tôt que d’habitude, je me suis mis devant elle et je l’ai observée. C’était une fissure banale, commune, sur un mur vaguement blanc, avec des tags dessus. Cette fissure partait de la moitié du mur et s’arrêtait un peu avant le trottoir, à une demi-jambe du trottoir. Vaste fissure pour un mur d’un immeuble de sept étages. Je me suis étendu un maximum en hauteur pour, avec mon doigt, en suivre une partie. Je la sentais à peine. Elle n’était vraiment pas profonde. Peut-être venait-elle d’apparaître ? Ou s’était-elle continuée depuis un point plus élevé, ce qui explique l’incongruité de ma découverte. Après tout, je ne suis pas toujours à regarder bien haut les immeubles qui bordent ma route. Pourtant, j’ai le souvenir exact de m’être fait à moi-même cette réflexion que je devais plus souvent regarder ces immeubles, lever les yeux pour changer. Tout ceci n’enlève rien au fait que cette fissure est bien là, que je suis certain qu’elle n’y était pas et que ce simple fait m’empêche de ne pas en parler. Et ce qui m’irrite encore plus, c’est qu’en écrivant ces mots, elle est toujours sous mes yeux, dans ma tête, là. Et cela me met dans une rage indescriptible. J’ai même l’impression que plus j’en parle, et plus elle s’agrandit.