Nuits de paresse: 11/22/07

11.22.2007

Libé, 22 novembre

A force de prendre du recul sur un problème, certaines perspectives changent de manière parfois radicale. Outre le danger de chute, il existe celui de ne plus voir l’objet qui suscitait ce mouvement très raisonnable, au premier abord, d’observation plus générale. Une perspective, c’est un risque. Et chacune a son piège. La France est un pays riche.

Si l’on fait une moyenne, un Français gagne 1900 euros par mois (!!). L’inflation est d’à peu près 2% par an. 8% de la population active est au chômage et 13% des Français vivent sous le seuil de pauvreté. « On » est au-dessus de la moyenne européenne. J’ai même eu l’occasion de voir un film dans lequel il est dit expressément que la France est un pays de gens heureux et sans problèmes (Sicko de Michaël Moore). C’est une question de perspective. Si le Français est une entité statistique moyenne, il n’a que des raisons de se réjouir, puisqu’il n’affronte que des moyennes. Mais comme le Français est râleur, il saisit la moindre occasion de sortir dans la rue manifester. Sans raisons valables, et pour défendre des avantages que le monde entier lui envie, ou devrait lui envier (dixit Michaël Moore). Les gens heureux sont raisonnables.

Les grèves actuelles ne seraient donc qu’un prurit très français, une tradition. Et ceux qui sont les font n’ont, au final, que de mauvaises raisons de les faire. Pourquoi se battre pour garder des avantages qui coûtent à ceux qui ne les ont pas ? De plus, les grèves ont un coût « exorbitant » qui correspond, d’après le patronat, au prix des avantages accordés (!!!) aux personnes qui les font. Bref, il faut être équitable, c’est-à-dire rentrer dans la moyenne. C’est la grande force de la moyenne, elle n’a pas d’histoire, elle est rationnelle, calculable et elle s’impose par son évidence.

Une chose m’a profondément choqué (et c’est rare). La défiscalisation des heures supplémentaires, cela veut dire que les entreprises ne paient pas certaines charges sur les heures supplémentaires travaillées par leurs salariés. Ce qui devait revenir aux différentes caisses de la Sécurité Sociale est donc offert aux entreprises (1,5€ revenant à chaque salarié par heure supplémentaire – gagner plus…), donc CNAV et CNAM sont spoliées. Cette défiscalisation appauvrit les deux caisses fondamentales de notre système de redistribution (celui qui fait passer la pauvreté statistique de 26% de la population à 13%). Les nouvelles heures supplémentaires participent à la destruction du système général de retraite (et ce n’est pas la seule technique employée pour atteindre ce but). Celui qu’il faut réformer paraît-il… Pour la fine bouche, le coût des régimes particuliers est équivalent au dixième des avantages fiscaux accordés par le gouvernement aux ménages les plus riches.

Juste une question de perspective. La France est un pays riche.