Nuits de paresse: 02/16/07

2.16.2007

Mes mots (extraits)

Des boutures, des graines, planter, faire croître… Les mots sont de quelque part. Ils ont tous une histoire, une origine. Aucun n’est séparé des autres mots. Ils sont tous les fils d’autres mots, des générations de mots, et certains sont presque immortels. Et puis, chaque mot a en lui les mots qui suivront, la possiblité de générer d’autres mots. Ou encore de générer autre chose que des mots. Il ne suffit pas qu’une chose soit par elle-même, il faut qu’elle soit aussi nommée. Qu’elle soit portée à la connaissance d’une sorte de communauté, des personnes qui partagent une façon particulière de nommer le monde. Qui parle du monde d’une certaine manière, qui diront « verre », et non pas « Glass » ou « Kass ». En nommant une chose elle apparaît à la connaissance de tous et peut ensuite prospérer, donner d’autres mots et créer d’autres choses.
J’amène un mot dans un environnement, peu importe, je nomme quelque chose, peu importe, je précise une partie d’un ensemble, peu importe, je crée. Je fais émerger. Et puis ça se développe. Racines et branches, ou spores, ou rhizome, ou mycélium, le mot va prendre tout son espace, de lui-même, et parfois aller au-delà, jusqu’à étouffer d’autres mots, d’autres manières de nommer quelque chose, et parfois faire disparaître la chose nommée. Ou en créer une. Rien n’est figé dans cet univers qui tient sur la pointe d’une plume.
Et avec le fil ténu de la plume se dessine cette hypophyse, ce lieu contradictoire qui permet aux mots et aux choses de se rencontrer. De se compénétrer.

Combien de mots utilise-t-on en pensant en connaître vraiment le sens ? Des mots parfois simples, parfois complexes. Et nous sommes certains de bien les utiliser. D’en connaître le sens exact. Nous pouvons même en donner notre définition, en contexte. Voire une définition simple, avec une origine que nous certifierons de véridique. Mais tous ces mots n’ont de sens que pour nous, employés ainsi. Ils sont une part de notre langue personnelle, un usage particulier. Nos mots vont s’étendre et en même temps perdre leur territoire. Parfois, ils peuvent retrouver leur sens original, leur vrai sens dirons-nous, leur sens commun. Ils ne nous appartiennent plus, nous les rendons à tout le monde. D’autres mots que nous aimons employer vont perdre, un jour, au détour d’une conversation, leur goût si particulier. Ils n’auront plus le charme que nous leur trouvions. Ils deviennent anodins. Malgré leur définition si précise, ils deviendront vagues, ils se perdront. Pour nous.
Et tous ces mots que nous picorons à droite, à gauche. Ces mots qui ont un parfum particulier, qui nous viennent à la bouche en les expirant par le nez, qui n’ont pas trouvé la voix adéquate, que nous n’avons pas en nous dans leur totalité. Des mots que nous aimerons dire plus tard, parce qu’ils vont nous rappeler ce moment particulier où nous les avons entendus pour la première fois, la personne qui les a dits. Ils nous viendront comme dans un rêve, une image de quelque chose qui remonte à notre surface, un peu déformé par la distance, mais qui reste le souvenir d’un moment précis. Ce mot-là.

On se parle tous par des milliers de canaux différents. La parole est souvent prépondérante. On échange des mots, à l’écrit ou à l’oral. On devise. On construit des discours avec des mots, mais ce n’est qu’une partie infime de tous les échanges que nous pouvons avoir. Presque tout se fait au dessous, par d’autres voies. Nos gestes soulignent nos mots, les complètent. Mais on exprime d’autres choses sans gestes et sans mots. Nos respirations communiquent, nos estomacs, nos peaux, nos corps, nos reins, toutes les parties de ce que nous sommes. Mais également nos souvenirs, nos regrets, nos fantasmes, toutes ces choses immatérielles, évanescentes communiquent entre elles. Tout échange en nous, tout parle, nous explosons constamment, éparpillant nos êtres sur tout ce qui est autour de nous. Et notre manière de floquer cet objet-là de nos êtres en dit plus long sur nous que tous nos mots réunis. N’oublions jamais cela. Certains le savent, encore moins nombreux sont ceux qui savent lire dans tous ces petits détails, qui repèrent les traces que nous laissons alentour. Il existe des signes de notre passage, une théorie de fantômes de nous qui errent dans les espaces que nous avons occupés, les temps que nous laissons derrière. Et tous ces fantômes de nous se parlent entre eux, et parlent aux autres fantômes de nous, ceux que vous laissez derrière vous. Dans une immense cacophonie d’inscriptions. Notre halo est plus vaste que nos vies. Alors que valent nos pauvres paroles et nos quelques gestes face à cette immense armée invisible. Dites un mot et pensez tout ce que vous dites réellement dans le même temps. Vous n’en finirez jamais de vous taire si vous saviez vraiment. Vous auriez trop peur de dire ce qui vous êtes. Vraiment.