Nuits de paresse: 04/14/08

4.14.2008

Libération, 14 avril 2008

Une crise surprenante qui ne surprend personne. Les grandes organisations internationales s’y attendaient, les acteurs principaux des marchés mondiaux la préparaient, les prévisionnistes l’avaient décrite. La grande crise alimentaire a commencé. Sous nos latitudes, elle prend le nom de baisse du pouvoir d’achat, sous leurs latitudes, famine. Ses causes sont tellement nombreuses, qu’il semblerait raisonnable de se demander comment il aurait été possible de l’éviter. Modification du climat, crise financière, spéculation sur les marchés des matières premières et dérégulations, hausse du pétrole et investissements massifs dans les biocarburants, baisse des aides aux pays du tiers-monde, évolution des modes de consommations des géants du sud… Ce que je trouve admirable dans ce constat, c’est qu’il oblige. A partir du moment où une situation est devenue incontrôlable, où trop de critères sont en jeu, il devient obligatoire de prendre des décisions, de mettre en place des mesures drastiques, de combattre avec « courage », par « sens du devoir », par « obligation morale », dans « l’urgence humanitaire », etc. Bref, il faut agir.

Les putes de supermarché qui nous gouvernent vont nous déballer leur sempiternelle camelote, nos éditorialistes préférés vont écrire la plume dans le cul qu’il faut réguler tout ça, qu’il y a eu urgence, les déchets de notre classe dirigeante évacués dans les différentes organisations internationales vont nous expliquer doctement qu’il fallait s’y attendre… Cela me fait furieusement penser aux réformes de la Protection Sociale. Il suffit de ne pas financer, de laisser pourrir une situation pour ensuite expliquer qu’il n’est pas possible de continuer comme ça, qu’il faut réformer, couper dans le vif et faire preuve de « courage » et de « sens du devoir ».

« Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles. » (Allocution de Nicolas Sarkozy prononcée à l’Université de Dakar)

Le talon de blé est à l’œuvre, de l’autre côté. Nos dents creusent leurs tombes.