Nuits de paresse: 09/04/06

9.04.2006

Chomage

La tension monte. Pour contrer le grand mouvement social en préparation, le gouvernement multiplie les effets d’annonce. Après les chèques transport pour les fonctionnaires, les allègements fiscaux pour les TPE, l’augmentation de la prime pour l’emploi, nos gouvernants se réjouissent de la baisse du chômage du mois passé. Et pourtant, à chaque fois, c’est un mensonge de plus. Le chèque transport ne verra jamais le jour, les allègements fiscaux sont critiqués par les argentiers en chef du parlement, qui ne comprennent pas non plus comment sera financée la hausse de la prime pour l’emploi. Quant à la baisse du chômage, nous savons tous ce qu’elle représente réellement.

Malgré tout, les ministres font la queue pour montrer leurs bouilles dans les rédactions et se faire interviouver par des journalistes chaponnés par des employeurs qui composent une partie appréciable de la classe dirigeante. Je me demande parfois pourquoi s’obstiner à lire la presse, regarder la télé ou écouter la radio quand on sait comment tout ce petit monde fonctionne. Le but de la manœuvre étant d’éviter qu’une large couche de la population ne sombre dans le désespoir et ne prenne conscience de ses conditions de vie objectives. L’illustration que la politique n’est que la réification des rapports sociaux.

Dialectique

Voilà un petit outil passé de mode mais qui reste très pratique et très efficace. Je lis tous les jours dans la presse des articles sur des objets morts, des concepts inertes, des institutions pétrifiées. Medef, Etat, Nation, Parti Socialiste... tous ces mots ont été coupés de leurs « réalités », se sont pétrifiés pour ne plus être que la définition communément admise par leur usage. La faute est partagée. Il est plus facile pour le Parti Socialiste d’être un sigle identifiable sur l’échiquier politique par les personnalités qui le composent qu’être la Section Française de l’Internationale Ouvrière défendeur des droits des prolétaires et gestionnaire des crises du capitalisme au mieux des intérêts des ouvriers. En plus ça fait vieillot.

Il faut remettre du mouvement dans ce vocable empesé, trouver les contradictions inhérentes à la fonction qu’il désigne pour lui rendre sa place historique. L’organisation du parti ne permet pas un tel mouvement actuellement, avec les adhésions en masse le processus de pétrification s’est même accéléré. La crise du 21 avril l’a tout juste un peu ébranlé. Cela donne une vague idée de l’énergie qui doit être dégagée pour la renaissance de la SFIO. J’avais espéré un éclatement, rien de tel n’est advenu. Il faudra hélas compter sur une repolitisation de la direction de ce parti pour qu’il se retrouve. Ou « espérer » une déflagration sociale. Bref apporter de la contradiction dans ce qui paraît monolithique. Ce qui est la fonction même de la dialectique.

La Rochelle

Il était évident que des coups se préparaient à La Rochelle, que des comptes allaient se régler, des débats s’enflammer et les discours se multiplier. On en a eu pour notre argent : entre les larmes contenues de M. Jospin, les envolées de M. Hollande, le silence obstiné de Mme Royal et les moues agacées des autres prétendants à la course au trône, on avait le choix. Mais le coup est venu d’ailleurs. Irrités par le tohu-bohu engendré par l’Université socialiste, la droite de gouvernement lançait son offensive. Dès dimanche, entretien avec M. Borloo, puis intervention le lendemain de M. Chirac et de M. de Villepin. M. Sarkozy et M. Breton quant à eux glissaient leurs noms dans les espaces encore libres. La Rochelle assiégée devait être plus tranquille.

Cette guerre de position médiatique devient lassante. Ces gesticulations fatiguent la vue et une nouvelle fois ne sont là que pour détourner le regard de ce qui est vraiment important. La patronne du Medef encourageait ce matin les français à accepter un peu mieux le système économique actuel, car un effort est nécessaire selon elle. Les revenus réels d’une large couche de la population française sont en baisse. Le chômage des jeunes est galopant. Un grand mouvement de revendications est en train de s’amorcer dans la fonction publique. Bref, la situation sociale est très tendue. Alors un peu de poudre aux yeux...

L'autre corps

Il existe un risque de perdre de vue les véritables enjeux sociaux et économiques de la période que nous vivons en focalisant notre attention sur les personnes. Parler de Sarkozy et Royal, Royal et Jospin ou Tartempion et Ribouldingue, c’est une forme de renoncement à notre libre analyse de ce qui se passe réellement. On transfère une partie de soi dans un autre monolithique qui n’est en fait qu’une expression maladive de notre égo. On se repaît de cet autre imaginaire en faisant comme s’il était soi. Entendez ce qui se dit sur ces hommes politiques, le partage que l’on fait de leurs mots, de leurs prises de position, ou de ce qu’ils nous laissent voir d’eux. La pipolisation rend encore plus fort ce transfert d’être. Plus leurs corps est présent plus on s’oublie en eux.

Or, ils sont tous à peu près aussi cons que n’importe qui. Ils sont mal fringués, ont deux idées sur un papier qu’un conseiller leur a filées, ils sont eux-mêmes non pas sujets mais objets d’autre chose. Il faut les écarter de notre champ de vision pour avoir enfin une idée des forces qui les manipulent. Comme dans la caverne de Platon. Mais c’est plus facile de parler de ces gens-là, que de ce qui est vraiment en train de se jouer en ce moment. Non pas que les hommes politiques se valent tous, mais il ne faut pas s’aveugler dans la contemplation de leurs personnes.

C’était juste une petite mise au point.

Ségozy

Dans les AG du PS auxquelles j’ai participé, la grande majorité des nouveaux militants évoquaient le 21 avril. Et c’était souvent LA raison de leur adhésion. Actuellement, Mme Royal présente quelques garanties sérieuses contre un nouvel échec dès le premier tour, et sa victoire supposée au second tour face à Sarkozy est somme toute bien secondaire. Il faut exorciser cette élection.

Se lancer dans la course à la présidence sans vouloir vraiment le poste est absurde, mais pour y arriver, il faut parfois faire preuve d’imagination. Un ticket Hollande/Royal même s’il n’est pas totalement absurde pose un problème : qui jouera le vice ? A La Rochelle ça devrait se décanter. Le Premier Secrétaire a le parti en main, mais il n’est pas seul à prendre la décision : c’est le vote des adhérents qui compte. Plus de la moitié sont nouveaux, ils ont été très sollicités par les divers courants du Parti, dans ce brouhaha (les mèls se multiplient actuellement) les votes iront vers le candidat qui proposera le plus de garanties contre... un nouveau 21 avril.

C’est un raisonnement un peu tautologique (doux euphémisme) mais je vois mal une armée de nouveaux adhérents arriver avec la volonté de soutenir un courant plutôt qu’un autre, le plus simple c’est de voter pour la direction. Sarkozy a appliqué ce raisonnement à l’UMP et d’autres avant lui (Mao, Staline, Hitler, César, etc.). Et ça marche !

C’est ce constat qui m’a fait penser au ticket légitimiste Hollande/Royal.

Ségolène

Assez tôt, j’ai eu l’impression que Mme Royal roulait pour quelqu’un. Femme politique bien implantée au Parti Socialiste, elle manquait pourtant de soutiens. En sortant du bois avec fracas, les ralliements se sont multipliés. Mais à mon sens, c’est un peu faute de mieux. Il est de tradition au Parti Socialiste de désigner comme candidat légitime le Premier Secrétaire, qui est également (sauf crise) le représentant de la motion majoritaire (amalgame de plusieurs projets). François Hollande, malgré une longévité rare à ce poste n’arrive pas à « fédérer » les énergies autour de lui. En d’autres mots, Flanby ne fait pas rêver. D’où à mon sens un deal avec sa compagne qui deviendrait la fédératrice des courants légitimistes au sein du parti. D’ailleurs, seuls les représentants des grands courants sont encore dans la course à l’investiture. Pas de candidats très minoritaires, pas de courants alternatifs, bref, que du lourd.

Et puis, il y a le cas Jospin. En se mettant en réserve, il oblige ses soutiens à se dévoiler, à travailler pour lui. Sa garde rapprochée est ancienne, et il fut un temps pléthorique, mais toujours solide et bien implantée dans parti, et quelques éléphants pourraient, avec le temps et faute de mieux, rallier la cause de l’ancien premier ministre. Se mettre en réserve c’est également s’enfermer dans une logique de dernier recours très risquée. Avec une Ségolène populaire à ses côtés, François Hollande pourrait faire la nique à tout ce beau monde. Et sans avoir l’air d’y toucher.

Plus c’est gros...

Courriels

Depuis quelques temps, les journaux économistes se font l’écho d’un mal qui ronge les entreprises : les mèls tout pourris. Cela n’a rien à voir avec les pourriels et autres junk mails, ce sont des mèls mal écrits, envoyés aux mauvaises personnes, au mauvais moment, en trop grandes quantités... Bref des mèls mal adressés. Chaque jour je dénombre dans ma boîte Outlook une cinquantaine de mèls. La plupart sont des mèls à caractère informatif, qui m’alertent sur l’arrivée d’un article dans une revue, d’un retard d’envoi... ce sont des mèls automatiques, très utiles pour qui sait les lire. Une dizaine sont des mèls de clients qui demandent une chose, ou une autre, ou deux choses différentes à des intervalles réduits. Déjà dans ceux-ci, quelques fautes apparaissent, des oublis, des accords dissonants, c’est gênant. Mais ce sont les clients. On n’a pas à être bien habillés quand on va acheter son pain. Par contre les mèls envoyés en interne (une poignée seulement heureusement) cumulent les tares mentionnées plus haut.

Quand une petite main du service adjacent fait des erreurs, ou oublie les formules de politesse consacrées, ou encore joue un jeu dangereux avec la grammaire, ça passe. Ce sont des mèls informatifs qui ne dérangent que les puristes. Quand un collègue fait les mêmes fautes, c’est plus difficile à accepter. On est dans le même bain, et savoir qu’un égal (en termes hiérarchiques) a un usage si alternatif du français, c’est dur pour l’égo. Heureusement, ces tares éclatent dans les mèls des supérieurs. C’est une joie pour quelques uns d’entre nous de dénombrer les fautes d’orthographe, d’accords, de grammaire, de lister les personnes non concernées dans A ou CC. Que de telles maladresses existent au-dessus fait réellement plaisir. C’est un baume pour l’égo, on peut laisser aller notre mépris, ironiser. On sourit en pensant qu’un client tatillon (et puissant) pourrait lire un tel mèl et se moquer de celui dont on ne peut dire du mal que de dos. C’est puéril, mais ça soulage. Et ça, ils n’en parlent pas dans la presse économique.

Liban

Ce pays me fait plus penser aux « Reyes de Taïfa » andalous qu’à un État-Nation moderne. Confetti de peuples dans un espace réduit, une histoire riche qui les unit, et toujours cette fonction de plaque tournante. Le Liban est un centre, un nœud historique, géographie, humain, religieux et économique. De nombreux Empires se sont disputés ce lieu depuis les phéniciens : Grecs, Romains, Arabes, Ottomans, Britanniques... Les accords Sykes-Picot et la déclaration Balfour ont presque définitivement oblitéré toute chance de voir un jour naître un Liban indépendant. Israël, la Syrie et à présent l’Iran veulent mettre la main sur l’eau et la finance libanaise. On pourrait évoquer d’autres enjeux : accès à la méditerranée, sécurité des frontières... mais il me semble que les enjeux immédiats sont pour ces trois puissances régionales des enjeux intérieurs. Ces opérations extérieures permettent de masquer, un temps, les crises économique et sociale qu’elles traversent. Une bonne guerre pour rassembler un pays autour de ses dirigeants, et qu’aucune tête ne dépasse !

En toute honnêteté, je ne vois rien de religieux dans tout ça. Peut-être le silence de la presse sur les vraies raisons de ce conflit.

Procédures

Depuis près d’un an, les salariés de l’entreprise dans laquelle je travaille sont constamment ennuyés par un mal qui atteint les structures pétrifiées : la procédure. Ce mal est ancien, il touche toutes les institutions qui ont perdu de vue leur véritable raison d’être, qui ont proclamé leur indépendance de leur milieu. Dans le cas qui m’intéresse, ces procédures pourraient devenir un moteur d’évolution intéressant pour les salariés, elles pourraient faciliter nos tâches, alléger notre travail. Mais voilà, elles ont été proclamées par une instance trop lointaine, qui ne fait qu’effleurer la réalité de notre travail, sa réalité quotidienne, celle qui casse les articulations, brise les dos et affaiblit notre vue.

Il faut faire ceci de telle façon, puis cela d’une autre manière, quand un contrordre n’arrive pas entre temps. Les buts nous sont connus, à peu près, mais l’absurdité des moyens rend ces buts absurdes. Pourtant il est nécessaire de les atteindre sans quoi c’est notre travail qui en pâtira. Mais si c’est au prix auquel nous le payons actuellement, qu’ils aillent au diable ! Et hélas les responsables objectifs de nos malheurs n’en seront jamais inquiétés.

Alors, brisons nos doigts, nos dos...

Le Grand-chose

Depuis quelques temps, je suis devenu sensible aux petits riens. Que ce soit dans ma vie ou dans mes pérégrinations culturelles, ils ont pris peu à peu une place importante. Des petites touches de vie, une couleur, un bruit, un mot, un geste, une expression, ils forment en s’agrégeant quelque chose d’impressionniste, indéfinissable au premier abord, mais qui a du sens quand je prends un peu de distance. Ce n’est pas si nouveau pour moi, mais avec autant de force, jamais.

Ces messages physiques, je les perçois mieux aussi parce que j’ai appris à y prêter attention. Mes lectures m’ont beaucoup aidé à les apprécier, des rencontres m’ont obligé à y être attentif, mais surtout ma nouvelle disponibilité me rend plus curieux de ce qui est alentour. L’acquisition du sens de la découverte se fait un peu contre soi, en tout cas contre ses évidences, il faut ouvrir un chemin à la théorie des petits choses, les laisser circuler en soi et ressentir leur force cumulée. Les petits riens, comme un Léviathan, finissent par constituer un grand-chose capable de mouvoir, de faire faire. Un premier moteur.

Retour

Dans l’air du temps, le retour fait un come-back. Les vacances s’achèvent, la campagne pour les présidentielles est déjà bien entamée, la saison sportive bat son plein, bref les occasions de retours sont nombreuses. Mais tous les retours se valent-ils ?

On peut faire des retours avec beaucoup de choses : un départ manqué, une guérison, un cycle qui s’achève, un investissement rentable, une animation... chaque fois un retour différent est en jeu. Avec un bon retour, un chanteur peu mieux placer sa voix, un gérant habile peut espérer un bon retour sur investissement, un vacancier qui veut profiter au maximum de ses vacances peut s’attendre à un retour difficile, un sportif qui recouvre ses capacités un retour triomphant, et un homme politique qui est parti un peu précipitamment, un retour délicat.

Dans mon cas, le retour s’est bien passé. Un train vide, une actualité insignifiante, et malgré un temps pourri, le plaisir de retrouver mon quartier, ma maison. Et puis l’idée que tout le temps que la presse libère pourrait être mieux utilisé.

D’où ce petit blog de retour.

12 juillet 2006

Coupé du Monde

Après celle de Corée du Sud, c’était peut-être la coupe du monde la plus fliquée. La grand peur des autorités était le Hooligan. Figure mythique, presque sacrée du monstre intouchable, craint et détesté, souvent issu de l’ancienne classe ouvrière, donc deux fois sale. Le hooligan était prié de rester chez lui, interdit d’entrée dans le cercle magique du stade.

Dans l’enceinte, tout est ritualisé. Le spectateur est contrôlé, encadré, il doit respecter des règles strictes de bienséance et est prié de participer à la Grand Messe qui se joue en contrebas sur la pelouse. Là, deux groupes de mages parés de couleurs spécifiques s’affrontent sous le contrôle d’un prêtre sachant les écritures et seul capable d’interpréter les signes. Il a droit de vie et de mort sur les participants. Gardien et juge, il porte une tunique sacré que nul ne peut toucher. Il est l’œil qui voit tout, il est impeccable. Quand les hooligans participent à ce rituel, ils font entrer le profane dans l’enceinte sacrée. Ils sont le monde contre la règle, l’attache physique des équipes. Chose insupportable quand les nations sont censées s’affronter dans une parodie guerrière, ils sont le corps présent, celui qui touche, qui réalise l’affrontement. Le hooligan n’a pas sa place dans le spectacle de l’affrontement.

Alors quand tout à coup la réalité des corps des joueurs apparaît, la parodie se mue en tragédie. Miasmes, saignements, fractures, coups... tout ceci inquiète le spectateur, lui renvoie l’image de son propre corps meurtri, fatigué, sale. Le dégoût exprimé dans ces moments est mystique, extatique. Les muscles se raidissent, le visage se déforme, l’effroi s’incarne. Qu’elle apparaisse sur le terrain ou dans les tribunes, cette présence du corps est condamnée moralement ou physiquement. Dans les tribunes, ce sont les autorités civiles qui interviennent, sur le terrain, les autorités sportives. Un corps brisé n’aura pas les mêmes droits.

Alors Zidane. Que penser de ce geste soudain entrevu par les seules étranges lucarnes ? Mille fois condamné, il reste un geste d’homme, la négation de ce qui régit le combat dans l’arène. Il impose le corps là où il n’y a que des symboles. Une fois son nom écrit sur l’ostracon, il est rejeté dans le monde, banni de l’assemblée. Il n’arrivait pas à partir seul, ce geste le condamne enfin à ne plus revenir. Il réalise le souhait de n’être plus que soi.

7 juin 2006

Laurent qui ?

Je suis affligé. Pourtant je n’attendais pas grand-chose de ce meeting. Mais avoir si peu ! Hier vers 20h30, dans un gymnase du 14ème arrondissement de Paris, les aficionados de Laurent Fabius se réunissaient pour communier ?, c’est un peu excessif, pour voir et entendre leur favori et, le cas échéant, emmener avec eux quelques nouveaux adhérents afin qu’ils adhèrent une nouvelle fois mais cette fois-ci au comité de soutien de Laurent Fabius pour la candidature à la candidature.

Il est arrivé avec un peu de retard. Car ce jour était celui de la constitution du programme du Parti Socialiste pour 2007. Son entrée dans le gymnase ne se fit pas dans la liesse générale, quelques applaudissements, un peu plus nourris dans les premiers rangs, et c’est tout. Le calme vint vite. Le maire du coin prenait alors la parole. Il remerciait les militants et les adhérents venus en nombre, il accueillait M. Fabius et les élus présents par des paroles aimables. Rapidement il évoqua la candidature de l’ancien Premier Ministre en insistant sur l’importance du débat interne etc. Puis il invita l’éminent membre du Bureau National à s’adresser à la foule et aux journalistes, peu nombreux, présents.

Il prit donc la parole non sans avoir soufflé un « c’est à moi ? » un peu étonné. J’attendais d’un homme politique de cette envergure, ou en tout cas avec un tel curriculum vitae, un discours éclatant, plein de finesse, d’élégance, parsemé d’envolées ou que sais-je encore. Ces premiers mots furent des mots d’excuses pour son retard, le justifiant par le fait qu’il sortait d’une réunion importante. On s’en doutait. Puis il entama le corps de son discours. Une attaque du programme de M. Sarkozy. Normal, le maire de Neuilly étant le candidat « naturel » de la droite. Mais son argumentation était plus que douteuse. Il présentait le programme de la droite en trois mots : précarité, communautarisme et atlantisme. Dit comme ça, c’est un peu dur à comprendre, une fois explicité c’est inaccessible.

Autant le premier terme, je voyais à quoi cela faisait référence, autant les deux autres... Je ne vais pas reprendre la totalité de son discours. Il opposait à ces trois termes son programme : économie solidaire, république et laïcité et Europe et internationalisme. Cela ressemblait à un devoir d’un élève moyen de Science Po. Le pire arriva peu après. Il affirmait qu’il ne fallait pas se battre sur le terrain de la droite (suivez mon regard) mais sur nos principes et nos valeurs (principes et valeurs socialistes supposais-je malicieusement). Après avoir développé longuement une argumentation peu convaincante sur sa réponse au programme de la droite, dire ça, c’est faire preuve d’un sacré culot. Le tout accompagné de moulinets et de petites envolées signalant qu’il fallait applaudir. Mes bras croisés commençaient à s’engourdir.

Bien évidemment, le programme concocté par le Parti était largement inspiré de ses idées, donc il était le mieux placé pour le défendre, donc... Ces derniers mots furent largement applaudis. Commençait alors la série des questions de la salle. Inutile de s’étendre là-dessus. Une pourtant fut pour lui l’occasion de revenir sur son passé, pourquoi il était socialiste, s’il avait changé. Pour un homme repéré par Mitterrand et qui fit toute sa carrière uniquement grâce à lui, l’homme est bien peu charitable. François M. ne fut pas cité une fois.

Je sortais de ce meeting de deux heures un peu fatigué. J’avais écourté ma nuit pour l’écouter. J’attendais un étalon de la politique, j’ai vu une rosse. Après tout, ces meetings ne sont pas inutiles. J’espère pouvoir assister à ceux des autres éléphants. Mais j’ai peur de ce que je vais y voir et entendre. Sitôt adhérent, sitôt détaché.

6 juin 2006

Clearstream

Depuis quelques mois, nous entendons, nous lisons, nous parlons Clearstream. Les tenants et aboutissants de cette affaire sont nombreux et obscurs et nous ne retenons de tout ceci que l’écume, qui par ailleurs est juste : ce gouvernement est corrompu. Nous focalisons notre attention sur les conflits de personnes, les petites « combinazioni » et parfois, juste comme ça, ce qu’est la société Clearstream est discuté.

Clearstream est une société de règlements-livraisons et une chambre de compensation. Elle appartient à la Bourse de Francfort. Elle permet des échanges rapides et simples de titres, de capitaux... Ces échanges sont soldés à terme (sur une période donnée), sont garantis, puis les titres, options... achetés sont envoyés aux clients. C’est un rouage fondamental de la bourse ; les échanges de titres ne se font pas par l’opération du saint-esprit. Et ces opérations « Post-marché » coûtent très cher selon une étude de la Commission de Bruxelles. Les marges générées par Clearstream en ont fait la vache à lait de la Bourse de Francfort.

Depuis quelques années, nous assistons à des regroupements boursiers régionaux sur tous les marchés. Euronext (France, Pays-Bas, Belgique, Portugal et Londres), Deutsche Börse (Francfort), LSE (Londres), NYSE (New York), CME (Chicago) etc... grâce à ces bourses, il est possible de tout coter : actions, matières premières, dettes, valeurs monétaires, émissions de CO2... Certaines se sont spécialisées, mais la plupart touchent un peu à tout. Euronext par exemple cote des entreprises, mais au travers du LIFFE (marché des dérivés de Londres), elle permet l’échange de produits dérivés. Ces derniers sont le plus souvent des options sur l’achat d’un titre, par exemple je place une option d’achat sur un titre s’il atteint telle cote à telle date, et cette option, je peux l’échanger... Il est possible de multiplier ce type de produits : actions, valeurs monétaires, matières premières...

Les grands regroupements boursiers ont commencé dans les années 90 et depuis ce phénomène s’est accéléré. Les grandes bourses mondiales se sont regroupées pour faire baisser le coût de leurs opérations en créant des « synergies ». Elles attirent ainsi plus facilement les entreprises qui cherchent des investisseurs. La bourse de Londres depuis quelques mois est celle qui a connu le plus d’introductions. De nombreuses entreprises américaines ont décidé de s’y faire coter car, depuis le scandale Enron, la réglementation comptable américaine est beaucoup plus contraignante (réglementation Sarbanes-Oxley). Ce nouvel ordre mondial oblige les grandes bourses américaines à s’intéresser aux bourses européennes, et les grandes bourses européennes à se regrouper pour se protéger.

Ces bourses sont elles-mêmes des sociétés cotées ; elles représentent des investissements très rentables qui attirent de nombreux fonds d’investissements. Ces fonds ont des participations conséquentes dans toutes les bourses. Ce sont eux qui commandent en sous-main toutes ces opérations. Les regroupements ne se feront que s’ils y ont un intérêt. Intérêt immédiat, ou à terme.

Les rapprochements du NYSE et d’Euronext et du NASDAQ (bourse qui cote les valeurs technologiques - New York) et du LSE est une nouvelle étape dans cette course à la taille. Les bourses américaines peuvent ainsi profiter des introductions sur les marchés européens, mais également intégrer les marchés des dérivés sur lesquelles elles sont peu présentes. Les bourses européennes devraient normalement profiter de l’immense potentiel du marché américain (moitié de l’épargne mondiale) et attirer les entreprises asiatiques et russes en mal de financement.

Dans ce contexte, les chambres de compensation et les entreprises de règlements-livraisons ont acquis une position importante. Intégrées (Clearstream) ou indépendantes (Euroclear, Clearnet), elles deviennent le deuxième cœur du système boursier mondiale. Un peu comme chez les céphalopodes, les bourses assurent les échanges entre les investisseurs et les entreprises, et les entreprises comme Clearstream vont irriguer le système boursier de l’intérieur. L’affaire des frégates et des faux listings tombent mal pour la Bourse de Francfort, car en pleine recomposition, elle lui ôte de nombreux soutiens et rend trop visible un système « gris » qui assure une grande partie de ses revenus. La direction de Clearstream fait des pieds et des mains pour que l’entreprise Clearstream n’apparaisse plus en tant que telle dans les articles traitant de « l’affaire ». Peut-être devront-ils une fois encore changer de nom ? L’échec de l’offre de fusion Deutsche Börse/Euronext marque peut-être la fin du système européen actuel de compensation et règlements-livraisons. Après la Commission de Bruxelles qui a demandé une baisse des commissions versées, la BCE s’attaque aux Hedge Funds (fonds d’investissements), propriétaire des bourses et acteurs principaux des marchés financiers. L’AMF (autorité de régulation des marchés européens) commence elle aussi à ruer dans les brancards et demande une extension de ses compétences.

L’affaire Clearstream ce sont plusieurs choses à la fois : reversement de commissions à différents acteurs de la vente des Frégates à Taiwan, règlements de comptes à la tête d’EADS, les faux listings mettant en cause M. Sarkozy et, par la bande, M. De Villepin, le système européen de réglements-livraisons et la place du Luxembourg (qui héberge Clearstream) dans le marché financier européen. Indirectement nous pourrions ajouter de nombreux autres enjeux, mais laissons cela à Denis Robert.

Je me suis intéressé avant tout à la place de cette entreprise dans le ballet actuel des bourses mondiales ; il me semble que sa position devient intenable, que rapidement elle devra faire de nombreuses concessions aux régulateurs européens, à ses clients et donc rapporter moins à la bourse de Francfort, qui de ce fait en sera très affaiblie. Prédatrice, la Deutsche Börse deviendra une proie. Je suis stupéfait par le silence assourdissant des élites économiques françaises sur ce sujet, à un moment-clé du développement du capitalisme (la constitution d’un réseau boursier mondial intégré ce n’est pas rien !) seuls deux parlementaires de droite ont réagi.

8 février 2006

La bonne volonté.

Le nouveau management devait apporter à tous la possibilité de s’épanouir en entreprise, d’y trouver sa voie, de faire d’une collection de tâches une activité. Les nouvelles ressources humaines devaient permettre à l’employé de bureau de devenir un partenaire de l’entreprise, un élément indispensable et « proactif », c’est-à-dire capable de créer de la valeur grâce à ses idées. Jack Welsh en son temps avait modélisé la nouvelle entreprise en reprenant le mythe des trois races de la Grèce Antique : la plus méritante recevait la récompense suprême, la progression dans l’organigramme et les émoluments attachés, la seconde effectuait les tâches fondamentales, celles qui permettent à l’entreprise de fonctionner sans recevoir plus que ce qui lui était donné, quand la troisième, en perpétuel renouvellement, se voyait proposer inexorablement la sortie.

Ce discours « progressiste » n’a qu’une seule fonction : faire accepter à moindre frais l’augmentation des charges de travail imposées aux salariés et le manque de clairvoyance des dirigeants devenus avec le temps de simples comptables de la bonne gestion financière de l’entreprise. Les ressources humaines élaguaient sans cesse les branches mortes d’entreprises connaissant un perpétuel hiver.

Tout ça finit par se voir, et les salariés de moins en moins crédules commencent à refuser ce qui se présente à tous comme un phénomène inexorable, nécessaire. C’est à ce moment qu’est apparue cette idée magnifique que l’on pouvait faire appel à la bonne volonté de chacun pour sauvegarder la force de l’entreprise. Dans un plan social existe toujours les départs volontaires, les reclassements volontaires, toute une panoplie de petits arrangements qui laissent penser que le salarié a son mot à dire. Quand une fusion a lieu, il est plus facile de faire appel à l’esprit « civique » des salariés (serrez les fesses ! en d’autres mots), de demande un surcroit de travail ponctuel, un investissement personnel plus important que de mettre en place une nouvelle organisation du travail ou d’embaucher.

Ceci dit, le mot d’ordre de 68 est toujours d’actualité, le tout étant de le compléter judicieusement : L’imagination au pouvoir ! (des salariés, des actionnaires, des dirigeants, de l’Etat, des fonds de pension, du capital investissement) - rayer la mention inutile.