Et puis l’Université. Je me souviens de cette période bénie quand tout était permis. Aucune obligation de présence, cours magistraux que nous suivions dans l’anonymat presque complet ; car passer inaperçu dans un amphithéâtre de 500 places est plus facile que dans une salle de 40 avec appel en début de cours. Et cette promiscuité délicieuse, ces échanges de regards, ces nouveautés si loin de mes habitudes, bref l’Université au début, c’est vraiment chouette. Et puis, ça se gâte. Il faut achever un cursus, passer des épreuves parfois difficiles, montrer patte blanche et comme disait un de mes maîtres « passer sous les fourches caudines » ou « sortir du couvent des oiseaux ». On perd énormément par la suite, on doit accepter de se soumettre à des professeurs qui ont tout pouvoir sur vous. Car passer son bac, c’est en fait anodin, on reste nombreux jusqu’au bout. Finir un cursus c’est plus exigent, on n’est plus qu’une poignée à la fin, et dans notre environnement le pourcentage de professeurs augmente considérablement. Puis il faut bien les choisir, miser sur le bon cheval en quelque sorte, donc fréquenter les professeurs les mieux pourvus dans le champ.
Cette caste, car c’est comme cela qu’elle se perçoit, de professeurs d’Université peut tout. Elle peut vous accepter dans son sein comme vous détruire. Tant que vous êtes simples étudiants, elle n’a aucune considération pour vous, quand vous devenez disciples, elle est votre maître absolu. Obéir, travailler pour eux, faire des recherches qu’ils pilleront sans vous citer, être constamment humiliés par leurs égos surdimensionnés. Et ce mépris incalculable ! Il suffit d’avoir affronté l’administration quand on a une demande impérieuse pour se convaincre qu’en fin de compte tant que vous n’êtes pas du sérail, vous n’êtes rien. Même dans l’armée une telle violence n’existe pas, malgré la discipline et la présence d’armes meurtrières. Un Professeur d’Université est comparable à un Commissaire Politique soviétique, ou un Inquisiteur, devant lui vous avez tord, vous êtes un accusé perpétuel, mais vous ne savez pas de quoi, vous payer un prix que vous ignorez pour des fautes inconnues. Parce que c’est vous, parce que c’est lui. Cette violence hallucinante dans une démocratie se perpétue, s’excuse indéfiniment, rien ne peut la remettre en cause que l’acte individuel de sortir de l’Université. Je regrette parfois de n’avoir pas continué plus loin mes études, et puis je regarde ceux qui sont restés et je compte ceux qui ont réussi à vivre de cette passion. Aucun.
10.04.2006
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