Nuits de paresse: 15 septembre 2005

9.02.2006

15 septembre 2005

« La terre des morts »

Georges Romero pour le premier « Crépuscule des morts » s’était largement inspiré de deux grands mouvements : l’expressionnisme et le gothique. Il s’attardait longuement sur les visages déformés des zombies, leurs démarches saccadées et leurs chairs en décomposition. Murnau a dû apprécier l’hommage. La panique des civils surpris par cette invasion fantastique était la première marque de leur future transformation. L’arrière plan quand il n’était pas surchargé par les arbres et les stèles des cimetières se limitait aux planches de bois des vieilles maisons où se cloîtraient les premiers survivants. Machen ou Lovecraft n’étaient pas loin.

Il a écrit et réalisé peu après une suite qui se réfère directement aux émeutes de Los Angeles. Récemment, le même réalisateur a repris ce récit pour l’insérer dans les temps nouveaux qui s’ouvrent. Ces zombies sont devenus la règle et les hommes l’exception. Ces derniers pour survivre doivent piller les magasins des anciens temps car ils sont privés de tout outil de production. L’élite corrompue qui veut oublier l’horreur qui rôde sur le seuil (Lovecraft encore) et qui ne pense qu’à son plaisir immédiat est servie par une multitude soumise et sans avenir. Les références à la situation actuelle des États-Unis sont nombreuses et souvent très fines. Elles le sont tellement que j’ai parfois l’impression que Romero avait imaginé ce que nous voyons actuellement à la Nouvelle-Orléans.

Un de mes chouchous, Emmanuel Todd, quand il intervient à propos de l’Amérique moderne insiste sur un point fondamental : la prédation. Les administrations Bush ont repris ce trait du capitalisme libéral, que l’on nomme pudiquement développement externe, et en ont fait le premier moteur de leurs politiques intérieure et extérieure. L’apparition de cet outil politique dans l’Histoire n’est pas récente, mais pour son application à une si large échelle, il faut remonter aux grands Empires. L’Empire libéral américain exporte/importe son mode opératoire jusqu’à l’anarchie. Ce qui se passe à la Nouvelle-Orléans se passe tous les jours en Irak, ce que Romero a imaginé est en ce moment ce qui se voit aux Etats-Unis.

Il semble que nous soyons arrivés quelque part au bout d’un processus Historique. Pour subsister, le capitalisme a besoin de fronts pionniers, de vastes espaces qui permettent d’empêcher qu’il ne ronge ses propres bases. Le tissu industriel américain encore puissant aujourd’hui se délite à une vitesse hallucinante et il n’est sauvé que temporairement par le développement rapide de la Chine. Les capitaux prédateurs trouvent dans ce pays un exutoire qu’ils ne trouvaient plus dans le commerce électronique.

J’ai toujours pensé que c’est dans les marges que s’inscrit l’histoire. Cette puissance historique qui nous submerge est incarnée dans « La terre des morts ».

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