Le Tour de souffrance.
Le Tour de France est un événement personnel qui accompagne nos souvenirs. Chacun a son Tour. Pour moi, c’est les vacances, le soleil, la plage, et aux heures les plus chaudes de la journée, c’est ce moment passé à la fraîche, sur le canapé, dans la pénombre, dans les courants d’air. C’est la geste des costauds du peloton, d’individus exceptionnels soutenus par une foule hurlant leurs noms. C’est des corps déformés par le vélo, soumis à sa puissance. Le corps du cycliste est voué à son outil de travail ; suivant qu’il est grimpeur ou sprinter, il aura des muscles fins ou épais, un cœur lent ou rapide, mais toujours un souffle hallucinant. Il est l’ouvrier de sa machine, il lui donne la vie. Il est le moteur non mu qui permet tout le reste. Le centre d’un monde de souffrances.
L’homme cycliste n’est pas. Il est un conte, une fable. Il n’est qu’une tranche d’effort, un moment de douleur. La route ne se fait jamais seul, là Bahamontes a lancé une attaque, ici Hinault a définitivement gagné le Tour, c’est là encore que Casartelli a chuté ; les lieux se succèdent avec leur vie propre, dépassant chaque individu mais l’intégrant dans cette histoire qu’ils peuvent à leur tout marquer. La route du Tour, c’est le « Tour de souffrance », ce sont des hommes qui vont se briser dans cette conquête, par goût, par obligation, par hasard. Le vélo impose comme impose la mine ou la vigne, il crée sa société, modèle ses corps, génère sa propre histoire.
Le Tour arrive dans la montagne ; cet événement m’a absorbé. En voyant Rasmussen en danseuse sur le Ballon d’Alsace tout m’est revenu comme si une année n’était pas passée, comme si rien d’autre que le Tour n’était arrivé. J’étais dans tous les lieux et avec toutes les personnes avec qui j’ai partagé ce spectacle.
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