Nuits de paresse: L’antépénultième degré, 25 février 2008

2.25.2008

L’antépénultième degré, 25 février 2008

De loin, il était reconnaissable à sa démarche.

A ses petits pas rapides. Ses pieds se projetaient légèrement vers l’extérieur et décrivaient de légers cercles qui faisaient cahoter ses épaules. Son buste rigide transmettait directement ses pas à ses cervicales, faisant dodeliner irrégulièrement sa tête. Il devait tous les vingt pas hausser les épaules pour calmer la douleur qu’inévitablement ressentait son cou. Sa petite taille accélérait ridiculement ce processus et donnait l’impression qu’il était en permanence excité. Ceux qui tentaient de le suivre devaient au bout d’un certain temps faire abstraction de lui et retrouver leur rythme sous peine de littéralement exploser. En sa présence les métabolismes se modifiaient et tous s’en plaignaient. « Je dois parfois me boucher les oreilles, fermer les yeux et compter jusqu’à cent pour retrouver mon calme » me disait encore hier un de ses amis. « Il semble toujours en train de combattre quelque démon intérieur » m’écrivait un de ses anciens collaborateurs.

Je le connaissais depuis pas mal de temps, mais ces derniers mois tout allait plus vite. Les états qu’il traversait normalement en une semaine, il les traversait en ce moment en une journée. Il était changeant, irritable, et aucune de ses décisions ne pouvaient être discutées. Ce qu’il décidait devait être appliqué immédiatement, car il ne pouvait être dans l’erreur. Tout devenait urgent. Ce qui sortait de lui devait immédiatement prendre forme. Vous ne vous imaginez même pas à quel point ! Récemment il aurait fait une crise parce qu’un toilette était inaccessible, et pour passer ses nerfs aurait exigé que lors de ses nombreux déplacements un toilette lui soit toujours réservé. Il y a peu, il aurait exigé que sa secrétaire dorme dans sa chambre pendant ses déplacements au cas où il aurait une chose urgente à faire. Quand j’ai voulu en savoir plus, personne n’a osé commenter cette décision, mais son plus proche collaborateur m’a assuré que c’était strictement professionnel. Ce que je n’ai pas mis en doute.

De loin il était reconnaissable à sa démarche et je le vois qui se rapproche de moi. Il ne m’a pas encore vu semble-t-il, il parle nerveusement à son garde du corps. Il porte des lunettes noires. Il paraît plus nerveux que d’habitude. Malgré moi je commence à angoisser. Il m’a vu, il me sourit. Je tente un sourire que je sens crispé, j’ai l’impression d’être avalé par quelque chose qui me dépasse, de rentrer dans une bulle où l’on a piégé un ouragan. Il me prend la main et me dit :
« J’en peux plus de tous ces pauvres cons ! »

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