J’avais été marqué durant mes premières années d’études par la lecture de Hans Jonas. Je trouvais le principe de responsabilité qu’il développait particulièrement intéressant car il permettait de penser les conséquences directes d’actions quotidiennes. Une sorte de principe général à usage quotidien. Ce n’était pourtant ni un vade me cum, ni une philosophie, plutôt la recherche d’une transcendance dans l’immanence comme on disait. Ce n’était pas très bien écrit, parfois cela manquait d’argumentation mais l’idée centrale était pratique. Elle a d’ailleurs inspiré pas mal de penseurs de l’écologie politique. On lui doit l’infâme principe de précaution. Mais on ne peut pas lui en vouloir, comment pouvait-il savoir qu’il engendrerait un tel monstre ? Si je parle aujourd’hui d’heuristique de la peur ce n’est pas pour rien.
La peur permet de construire de nouvelles formes d’actions qui éviteraient les conséquences du phénomène qui la génère. C’est ainsi que toute la polémique autour du réchauffement climatique est née. La peur peut être heuristique. A partir d’un scénario catastrophe, il est possible d’établir des règles d’action qui permettraient de prévenir les conséquences des présupposés qui ont généré cette peur. Agir en conséquence, mais pas toujours en connaissance de cause, puisqu’il est impossible de savoir exactement quelles seront les conséquences réelles et directes de ce qui est en train d’advenir. Si la peur est un mauvais guide, il paraîtrait sensé de se dire qu’une réflexion sur cette peur, sa mise en perspective, peut ouvrir un champ d’action jusqu’alors caché par cette même peur. Cela paraît même raisonnable.
Or, ce sage principe de responsabilité ne permet de prévenir que ce qui pourrait arriver, et permet également de faire l’impasse sur les circonstances qui ont permis l’émergence de cette peur. La peur seule suffit, et elle engendre seule l’action. Il est possible d’utiliser des analogies pour penser les actions à mener, de construire des routines facilement utilisables, que l’on peut mettre en place rapidement, des procédures d’alerte par exemple. Mais le grand vice de cette idée de la précaution est qu’elle est antidialectique. Ce qui a permis la génération des conditions de la peur n’est pas pris en compte. La situation de peur est anhistorique et son règlement purement « géométrique », spatialisé disait Gabel. La seule temporalité qui reste est le futur, pire un futur « conditionnel », celui qui ne peut générer aucune pensée, aucune confrontation d’arguments raisonnés. Ce qui est discuté n’existe pas, et ce qui n’existe pas justifie l’action. Une vraie saloperie intellectuelle.
Pourquoi je parle de ça? Un papier à la gloire de Jérôme Kerviel aurait-il été plus adéquat ? Simplement parce qu’une fois de plus un événement anxiogène inspire l’usage du conditionnel. « Il faudrait moraliser les circuits financiers. » Bah ! Je resterai poli.
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