Ainsi donc, le Maroc a un Parlement, un Gouvernement responsable devant le Parlement et une Nation qui vit au travers de ses 15 millions de citoyens actifs… A part Serge (Dassault) dans le Figaro, personne n’oserait écrire ces quelques mots sans rougir de honte ou mourir de rire. Le roi règne, il gouverne, décide, exécute, il est la Nation, le descendant du Prophète (je préfère mettre une majuscule, on n’est jamais trop prudent), le commandeur des croyants… Il est presque tout, et c’est l’effet de son « bon plaisir » qu’un Parlement existe, qu’un Gouvernement existe, et que 15 millions de marocains puissent voter. Mais le Maroc existe aussi sans le Roi, voire contre lui. Et si l’on jette un œil sur les deux derniers siècles d’histoire du Maroc (j’ai un peu la flemme de causer des phéniciens), il me semble que l’on peut faire preuve d’un minimum d’optimisme sur le futur du royaume.
Le protectorat français a « pacifié » (a noyé dans le sang serait plus juste) les campagnes marocaines et imposé le pouvoir chérifien dans le dar el siba (le pays qui ne paie pas l’impôt). Mohamed V a profité des circonstances historiques pour reprendre le chemin emprunté par cette bande de terre à l’occident du monde méditerranéen depuis les almoravides et les almohades, celui d’un empire autonome sur les berges de l’atlantique. Hassan II a imposé par la force le pouvoir royal contre les mouvements socialiste et arabiste, tout en faisant du royaume un des centres de l’Islam. Tazmamart était le symbole de cet écrasement des velléités de la bourgeoisie marocaine de s’imposer comme force sociale et politique. L’armée et la police du roi ont fini par devenir des métastases dans l’Etat marocain, et ont failli avoir raison du roi lui-même. L’ouverture commencée par Hassan II était inévitable, elle s’est imposée à lui. Et Mohamed VI ne fait que poursuivre ce travail nécessaire pour que la royauté puisse continuer à exister.
Le bon vouloir du roi a ses limites. La bourgeoisie marocaine a gagné en autonomie, elle est assez puissante pour demander au roi des réformes (surtout économiques), mais pas assez pour prendre le pouvoir. Alors elle soutient le régime. Le Maroc reste toutefois un pays pauvre, paupérisé, la moitié de son peuple vit dans la misère. Terreau fertile pour une opposition radicale au pouvoir en place. Pourtant le Maroc n’explose pas… Les mouvements islamistes (plus ou moins radicaux) sont acceptés et encadrés par le pouvoir, certains sont représentés au Parlement, ils sont qu’on le veuille ou non la voix de ce peuple soumis aux lois de la misère. Le roi l’a semble-t-il compris, et la bourgeoisie marocaine fait avec, acceptant certains retours de balancier (le roi frappe les islamistes radicaux, puis la bourgeoisie libérale…), et ça tient. Mais à quel prix ? L’islamisation paranoïaque de la société marocaine s’est accélérée ces derniers années, elle se fait par le bas mais, pour en avoir discuté avec quelques bourgeois marocains, elle ne s’impose pourtant pas à tous.
Il faudra bien que ce mouvement aboutisse à quelque chose. Rébellion directe contre le roi ? Reconnaissance par les urnes ? Constitution d’un autre Maroc dans/contre le Maroc « officiel » ? Les mouvements islamistes (car il n’est absolument pas unitaire) sont des mouvements sociaux qui s’expriment politiquement en se servant de l’Islam, et la Maroc peut permettre l’émergence d’un mouvement certes islamiste mais pacifié gardant son charabia religieux mais sur des bases « démocratiques », c’est-à-dire venant du peuple avec l’assentiment du roi (le roi du Maroc est la Nation !). Par ailleurs, une bourgeoisie spécifiquement religieuse peut s’imposer notamment grâce aux outils créés il y a plusieurs années dans les pays du Golfe, ce que l’on appelle la finance islamique comme on parle en Europe de la finance socialement ou écologiquement responsable. Il y a des chemins qui sont ouverts et le Maroc a la possibilité d’en ouvrir d’autres, aussi bien en Islam, qu’en Afrique que dans la Méditerranée. C’est pas glorieux, mais bon…
9.07.2007
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