L’enfermement.
Comment tout ça tient ensemble ? J’ai toujours du mal à ne pas me poser cette question. Pourquoi des personnes si différentes acceptent-elles de rester enfermées dans des lieux clos ? Par quel miracle des individus qui n’ont en commun qu’un genre de contrat peuvent-elles supporter de s’enfermer ensemble pendant parfois plusieurs années ? Et continuer à vivre comme si tout ça était normal ?
La question dépasse le simple cadre de l’entreprise, dont cette série est le centre. Les événements récents dans nos banlieues, par exemple, peuvent être abordés par ce biais du vouloir-pouvoir-devoir vivre ensemble. Goffman dans Asiles posait cette question aux institutions psychiatriques, mais également à toute institution qui enferme des personnes ensemble malades/enfants/religieux et leurs surveillants. Tous sont soumis aux mêmes règles même si des statuts, des fonctions existent, l’enfermement soumet tout le monde aux mêmes rythmes de vie. En banlieues (un peu d’étymologie !) cet enfermement est spatial, social, politique, culturel et en dernière instance économique. Il l’est dans le sens où nous parlons d’économie de l’enfermement, d’organisation générale du lieu-clos-ayant-ses-propres-règles, comme une prison, un asile, un parti politique ou une entreprise. Quand il y a reconnaissance des limites par les personnes enfermées commence l’intégration finale des valeurs de l’enfermement. « On » parle alors de culture des banlieues, d’entreprise, du parti...Quelle est la différence entre un stalinien français des années cinquante, un rappeur de Trappes des années quatre vingt dix, un ouvrier de Renault ou de Michelin ou encore une étudiante en droit vivant chez papa-maman dans le seizième arrondissement des années soixante dix (Étude de l’IS) ? Les « valeurs centrales de cohésion » ne sont peut-être pas les mêmes mais le degré d’enfermement est équivalent.
Il me semble que cette question de l’enfermement devient la question centrale d’une société qui devient inégalitaire (Emmanuel Todd). A partir du moment où une limite est définie, qu’elle soit imaginaire et/ou réelle, des règles s’établissent, des valeurs se créent et l’enfermement commence. L’effort pour sortir devient personnel ou le fait de groupes de pairs, nous devons faire notre « great treck », notre sortie d’Egypte en créant des brèches dans ce qui nous apparaît comme uniforme.
Revenons à notre entreprise. Je vis au quotidien la création d’une culture d’entreprise, la mise en forme de limites dans les fonctions, de spatialisation des tâches, de rapports client/prestataire en interne, et toute cette misère a des effets réels sur les interactions entre personnes, nous ne nous traitons plus en bons camarades qui font un peu semblant, - mais pas toujours heureusement, - de s’accepter, nous devenons des échelons dans l’organigramme, nous devenons nos tâches.
Comme dirait Palahniuk je suis la fonction client déçue de Ian.
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